Bulletin du CODESRIA en ligne, No. 6, mars 2022

La question démocratique

Samir Amin (1931–2018)

Professeur agrégé de sciences économiques et Ancien Directeur du Forum du Tiers Monde
Dakar, Sénégal

Rédigé en janvier 2016 à partir du livre de Ndongo Samba Sylla : La Démocratie Contre la République.



Le livre de Ndongo Samba Sylla (La Démocratie contre la République, L’Harmattan, 2015) est simplement d’une portée et d’une qualité exceptionnelles.

Ndongo S. Sylla fait preuve dans son traitement de la question de la démocratie d’une belle érudition, en particulier pour ce qui concerne la Grèce antique et l’Ancien Régime en Europe. Sans étalage présomptueux, mais avec une précision remarquable. Mais Ndongo S. Sylla va bien au-delà de ce que nous offrent beaucoup de travaux d’érudits. Il entend faire comprendre aux lecteurs contemporains, en particulier aux militants des causes démocratiques, toute l’ambiguïté du concept de démocratie et toutes les limites que les systèmes d’institutionnalisation de sa pratique lui imposent. L’importance de ce travail se situe ici.

Ndongo S. Sylla déconstruit le mythe de la démocratie athénienne, dont se nourrit le discours démocratique européen depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à ce jour. Non pas seulement parce que cette démocratie aurait été offerte aux seuls citoyens mâles, et évidemment ni à la grande majorité des travailleurs manuels – les esclaves – ni aux femmes. Mais au-delà, parce que la forme démocratique du pouvoir exercé par les citoyens à Athènes n’a jamais été considérée comme désirable, étant synonyme de tyrannie des pauvres. Par la suite, les Anciens Régimes, progressant vers leur forme achevée avec les monarchies absolues du XVIe au XVIIIe siècle européen, ont tout autant considéré comme inacceptable et utopique l’idée d’un pouvoir confié « au peuple barbare ». J’ajoute pour ma part qu’il en était de même ailleurs, dans la Chine impériale, les Khalifats musulmans, les États hindous et bouddhistes, ceux d’Afrique et d’Amérique précolombienne.

Toutes les sociétés de la Planète avant l’époque contemporaine partageaient donc un dénominateur commun qui, entre autres, s’exprimait à travers le rejet catégorique de l’idée de démocratie entendue comme le pouvoir du peuple. La démocratie est une idée moderne. Cette analogie profonde entre des sociétés par ailleurs fort différentes s’explique par le fait que l’instance constituée par les rapports économiques n’est dominante dans aucune de ces sociétés antérieures à la modernité capitaliste. Ma lecture de Marx m’avait conduit à cette thèse.

***

Le mode de production capitaliste et – derrière lui – la société capitaliste sont fondés sur la généralisation des rapports marchands. La valeur d’échange – et derrière elle la vente marchande de la force de travail et l’émergence de la plus-value – ne prend son envol qu’avec cette généralisation. L’instance économique devient alors dominante, au sens où elle détermine immédiatement la structure de la société. Dans toutes les sociétés antérieures à cette explosion des échanges marchands, l’instance économique n’est pas dominante, bien qu’elle demeure déterminante en dernier ressort. L’instance politique (le pouvoir politique) domine alors directement, et celui-ci trouve les moyens qui lui donnent sa légitimité dans des formulations idéologiques absolues (métaphysiques), de ce fait le plus souvent religieuses. Le surplus produit par la majorité – le peuple du travail – est alors ponctionné au bénéfice de la classe dominante par des moyens extra-économiques, que j’ai qualifiés pour cette raison de « tributaires ». Non pas certes que les échanges marchands aient attendu la formation du capitalisme pour exister. Mais ces échanges ne sont pas généralisés comme ils vont l’être avec le capitalisme. La forme tributaire dominante de la ponction du surplus exige alors que l’instance politique exerce des fonctions dominantes dans la reproduction de la société. L’instance économique demeure déterminante en dernier ressort : c’est parce que le niveau de développement des forces productives n’a pas encore atteint celui qu’il pourra atteindre avec la formation du capitalisme que la reproduction sociale ne peut se faire que par le moyen de la dominance de l’instance politico-idéologique. En langage banalisé : dans le capitalisme la richesse est source de pouvoir, dans les systèmes antérieurs le pouvoir est source de richesse.

Les Grecs anciens ne se vivent pas comme une « société économique », mais comme une polis, une société politique. L’homme libre de l’époque ne se voit pas en homo œconomicus, homo œconomicus, mais en citoyen politique. Par contre, l’individu de nos sociétés capitalistes modernes se voit d’abord en homo œeconomicus – qu’il soit entrepreneur ou vendeur de sa force de travail – avant de se vivre en citoyen, amputé de ce fait.

L’émergence du concept et de la pratique de la démocratie – du principe du pouvoir du peuple – est moderne. Mais cette émergence est complexe et contradictoire, parce qu’elle déploie ses effets inégalement dans chacune des instances – économique, politique et culturelle – propres aux sociétés considérées.

Sur le plan de la culture, la modernité émerge, en Europe, à la Renaissance, par la proclamation que l’homme fait son histoire, sans plus grande précision – quel homme ? Tous, organisés en peuple, ou chacun individuellement, ou quelques-uns (les « grands hommes ») ? Il est bon de rappeler que cette idée, nouvelle en Europe, avait été exprimée en Chine deux mille ans plus tôt, lorsque Confucius avançait que toutes les religions transpirent l’invention humaine ; une idée enfouie par le bouddhisme chinois, reprise à nouveau cinq siècles avant la Renaissance européenne. Mais affirmer que ce ne sont pas les Dieux qui ont créé les hommes et qui font leur histoire constituait une proposition inacceptable pour les pouvoirs religieux établis, en l’occurrence le christianisme en Europe. Cette proposition révolutionnaire est à l’origine de la liberté, au sens plein de ce terme, c’est-à-dire du droit à l’invention de l’avenir. C’est elle qui est à l’origine de la modernité et du capitalisme, potentiellement, de la démocratie et du socialisme. Et non pas le protestantisme, comme Max Weber l’a imaginé. La thèse de Weber, populaire en Europe du Nord parce que flatteuse, ne résiste pas à l’examen : les villes italiennes étaient gouvernées comme le sont des entreprises marchandes, sans pour autant sortir du catholicisme. Et la proposition révolutionnaire considérée ici – bien que marginale dans la pensée de la Renaissance – va beaucoup plus loin que l’adoption du principe de la tolérance, selon lequel toutes les religions doivent être également respectées, lequel principe n’est guère qu’un concept de laïcité tronquée, néanmoins toujours seul en opération aux États-Unis, dans le cadre de l’idéologie des « communautés » qui leur est propre.

Sur le plan de la gestion économique, les revendications de la classe bourgeoise nouvelle en formation sont demeurées fort modestes : liberté pour les propriétaires de disposer librement de leur propriété, « liberté du commerce » et légitimité de la richesse qu’elle permet d’accumuler. Traiter cette revendication comme constitutive du déploiement démocratique, est discutable, c’est le moins qu’on puisse dire. Au demeurant, la revendication ne remettait pas radicalement en cause l’exercice autocratique du pouvoir de la monarchie absolue et du clergé (catholique, protestant ou orthodoxe) à son service. Au mieux, elle se contentait d’une atténuation de celui-ci par l’institutionnalisation d’une représentation de la classe bourgeoise nouvelle auprès de ce pouvoir, comme en témoigne la révolution anglaise de 1683, qui supporte mal sa qualification de « glorieuse ».

La révolution américaine, bien qu’elle soit la première à proclamer le principe du « gouvernement par le peuple », n’a pas davantage fait avancer la cause de la démocratie. Sa devise réelle est « propriété et liberté » et non « liberté et égalité ». Ndongo S. Sylla éclaire notre lanterne sur ce point majeur, aujourd’hui presque toujours passé sous silence (Canfora et Losurdo constituent les rares exceptions à la règle)1, par le rappel précis des moyens que la classe dirigeante étasunienne a inventés dès l’origine pour annihiler les risques de l’exercice du pouvoir par le peuple des « pauvres ». Ces moyens ont fait leur chemin depuis, conquis l’Europe au XXe siècle et commandent désormais la pratique institutionnalisée d’une démocratie sans danger pour la domination de la société par le capital.

La Révolution française a été, de ce point de vue, singulière. Elle a été la seule révolution – au sens d’ouverture au déploiement des rapports sociaux capitalistes – démocratique. Et elle l’a été précisément parce qu’elle n’était pas une révolution bourgeoise démocratique – termes difficiles à concilier –, mais une révolution populaire démocratique. L’irruption de la plèbe urbaine et de la paysannerie donnera à la Convention des années 1793-1794 l’allure du premier gouvernement du peuple : la liberté y est conjuguée avec l’égalité. Les Jacobins sont parfaitement conscients du conflit entre « marché » et égalité. Un point de vue inacceptable pour le capitalisme. La Révolution française a ainsi ouvert la voie à la politique moderne, confrontée à la contradiction fondamentale qui la caractérise : réduire la gestion politique à ce qui est possible sans atteinte portée à la domination du capital. Ou inventer les voies du dépassement du capitalisme et de la construction alternative socialiste.

Le recul de la Révolution française, associé au caractère médiocrement démocratique des révolutions anglaise et américaine, a inauguré un long XIXe siècle – prolongé jusqu’à la Seconde Guerre mondiale – peu démocratique. Le capitalisme s’y déploie vigoureusement dans le cadre des démocraties castrées en Angleterre, en France, aux États-Unis, et avec au mieux l’apparence de celle-ci en Allemagne, en Autriche-Hongrie et encore moins en Russie. Le centre libéral qui se proclame démocratique demeure paralysé par sa crainte de se voir dépassé par la gauche ouvrière socialiste. Il laisse alors le champ libre à la droite conservatrice, soucieuse de protéger les intérêts des aristocraties d’Ancien Régime et des monarchies. Étant entendu que ces intérêts vont progressivement fusionner avec ceux du capital aux postes de commande de l’économie.

Dans ce cadre les avancées démocratiques – et il y en a eu – ont été le produit des luttes ouvrières, paysannes et populaires venant en conflit avec les logiques de déploiement du capital et non en complément à celles-ci. Marché et démocratie ont toujours été en conflit. Ces avancées démocratiques ont opéré dans le domaine de la gestion sociale (droit du travail) et dans celui de la gestion politique (suffrage progressivement universel). Mais elles ont été contraintes de se limiter à ce qui était possible sans remise en cause de l’essentiel : la domination du capital. La réaction ouvertement antidémocratique a trouvé les moyens de s’exprimer, voire de s’imposer, à de nombreux moments de cette histoire pénible. Cette réaction, avec le fascisme et le nazisme venus en réponse au danger présumé de contagion de la révolution russe, a renié formellement le discours moderniste et démocratique de la Renaissance, des Lumières, du libéralisme, de la social-démocratie, pour lui substituer un retour au passé, ou plutôt à un passé imaginaire. Les appels à la « race », à l’ethnicité, à la « nation » remplissent alors leur fonction : abolir les droits sociaux et politiques du peuple devenus gênants pour la domination du capital. Dans certaines situations – comme en Espagne ou en Pologne –, cette réaction a intégré en son sein le renforcement des pouvoirs sociaux des Églises établies.

***

La rhétorique démocratique ne s’est imposée comme apparemment sans alternative qu’après la Seconde Guerre mondiale. La défaite du fascisme, mis en déroute par l’Armée rouge, associée aux avancées des mouvements ouvriers, a convaincu la bourgeoisie qu’il n’y avait plus d’alternative possible ; il lui fallait endosser définitivement l’habit de la démocratie. Mais il fallait le faire d’une manière appropriée, qui ne permette plus la remise en cause de la gestion capitaliste de la société. Il fallait donc convaincre que marché et démocratie sont complémentaires. L’américanisation de l’Europe, entendue comme l’adoption finalement rapide et quasi complète du modèle idéologique des États-Unis, s’est alors imposée : priorité à la défense de la liberté des propriétaires et aux libertés individuelles associées, abandon de la laïcité radicale, promotion des imaginaires communautaristes. Un sens nouveau est donné au concept de démocratie : celle-ci devient synonyme de société de « consensus » ; le citoyen capable d’imaginer un avenir autre que le présent prolongé disparaît pour laisser place au consommateur et au spectateur. C’est « la fin de l’histoire » proclamée par Fukuyama : le capitalisme est enfin accepté comme expression transhistorique éternelle de la rationalité2.

La transformation du capitalisme des monopoles en capitalisme des monopoles généralisés, financiarisés et mondialisés (la qualification que j’ai donnée du système contemporain) au cours du dernier tiers du XXe siècle a donné à cette image paisible de la démocratie de consensus institutionnalisée à titre définitif une figure lugubre et macabre : inégalités accélérées à un rythme insoutenable, paupérisation. Les médias domestiqués, réduits au statut de clergé médiatique au service du seul pouvoir réel, celui des monopoles financiers, exercent désormais la fonction imaginée pour eux par Orwell : transformer le mensonge en vérité.

Des exemples de cette mécanique idéologique nouvelle ne sont pas difficiles à trouver. J’en donnerai un seul. Une série d’émissions à la TV française en janvier 2016 proposait une enquête intitulée : « C’était mieux avant ? ». Il s’agissait évidemment de prouver le contraire : que notre vie est meilleure aujourd’hui, que nous bénéficions de davantage de libertés, etc. Le monde d’hier que certains regrettent – à tort – était pourtant celui du plein-emploi, de salaires en croissance continue, d’inégalités réduites. Qu’importe ; il était, paraît-il, irrationnel et autocratique. Le monde d’aujourd’hui est rationnel et démocratique, donc meilleur, en dépit du chômage et de la paupérisation ! Le mensonge devenu vérité annihile la pensée libre ; mais il ne supprime pas les problèmes auxquels ses victimes sont confrontées. La protestation, devenue inefficace dans le cadre de la démocratie institutionnalisée, castrée, s’exprime autrement. Parfois au travers de luttes concrètes par une prise de conscience graduelle des enjeux réels ; mais parfois aussi par un abandon de l’idéal démocratique, au bénéfice d’un renouveau du fascisme, sournoisement soutenu par le pouvoir aux abois. Notre époque est celle du recul de la démocratie, dont l’évidence est noyée dans le flot ininterrompu de la rhétorique démocratique !

***

Marx et Engels admiraient les démocraties anglaise et américaine décentralisées et non bureaucratiques, au point d’y voir la forme par excellence porteuse éventuellement d’une radicalisation politique. On les comprend ; les moments radicaux de l’histoire de la France depuis la Révolution avaient tous été suivis de restaurations peu démocratiques, l’Allemagne n’était, c’est le moins qu’on puisse dire, qu’une démocratie de façade. Mais aujourd’hui, avec le recul du temps, on ne peut que constater que les démocraties anglaise et américaine n’ont rien donné qui puisse laisser espérer de leurs peuples une radicalisation visible quelconque. Loin d’avoir permis le développement de la conscience de classe (je ne dis pas des luttes sociales), cette forme de démocratie semble avoir été l’instrument parfait de sa dilution au profit d’autres formes de l’identité sociale, non dangereuses pour la domination du capital. Marx et Engels ne l’avaient pas imaginé. Nous avons le devoir de chercher aujourd’hui à l’expliquer.
La démocratie anglo-américaine, et singulièrement celle des États-Unis, constitue aujourd’hui le modèle avancé de ce que j’appelle « la démocratie de basse intensité ». Son fonctionnement est fondé sur une séparation totale entre la gestion de la vie politique, assise sur la pratique de la démocratie pluripartiste électorale, et celle de la vie économique, commandée par les lois de l’accumulation du capital. Qui plus est, cette séparation n’est pas l’objet d’un questionnement radical, mais fait plutôt partie de ce qu’on appelle le consensus général. Or cette séparation annihile tout le potentiel révolutionnaire de la démocratie politique dans lequel Marx et Engels avaient placé beaucoup de leurs espoirs. Elle castre les institutions représentatives (parlements et autres), rendues impuissantes face au « marché » dont elles acceptent les diktats. Voter rouge, voter blanc ; cela n’a aucune importance puisque votre avenir ne dépend pas de votre choix électoral, mais des aléas du marché. L’alternance – c’est-à-dire le changement des figures au gouvernement (mais non au pouvoir) appelées à faire toujours la même chose (obéir au marché) – a pris la place de l’alternative, c’est-à-dire du choix lucide entre des options et des perspectives sociétaires différentes. Tout ce qu’on a dit et écrit sur la double dilution de la citoyenneté et de la conscience de classe dans le spectacle de la comédie politique et la consommation de marchandises était contenu dans cette séparation politique/économique.

Cette dégradation de l’idée même de la démocratie annihilant sa portée constitue par excellence un phénomène complexe, que je n’aurai pas la prétention d’analyser ici dans toute son ampleur. Je partirai de l’idée banale que cette dégradation trouve ses racines dans les évolutions économiques et sociales, particulières et différentes d’un pays à l’autre, comme dans les héritages culturels et politiques façonnés par des histoires toujours singulières. J’en choisirai quelques-unes qui me paraissent importantes et évidentes, et sur lesquelles Marx et Engels avaient été peu loquaces. Mais j’ajouterai à ces éléments d’explication d’autres concernant le fonctionnement des institutions démocratiques en question, et de la manière par laquelle elles ont été mises au service du capital. Je limiterai mon propos à l’examen des États-Unis, au sujet desquels je ferai d’abord quelques observations concernant l’histoire de leur formation historique.

***

La « révolution américaine » tant appréciée par beaucoup des révolutionnaires de 1789 et aujourd’hui vantée plus que jamais n’a été à mon avis qu’une révolution politique limitée sans portée sociale. Dans leur révolte contre la monarchie anglaise les colons américains ne voulaient rien transformer des rapports économiques et sociaux, mais seulement n’avoir plus à en partager les profits avec la classe dirigeante de la mère patrie. Ils voulaient le pouvoir pour eux-mêmes non pas pour faire autre chose que ce qu’ils faisaient à l’époque coloniale, mais pour continuer à le faire avec plus de détermination et de profit. Leur objectif était avant tout la poursuite de l’expansion vers l’Ouest, qui impliquait entre autres le génocide des Indiens. Le maintien de l’esclavage n’était également, dans ce cadre, l’objet d’aucun questionnement. Les grands chefs de la révolution américaine étaient presque tous des propriétaires esclavagistes et leurs préjugés dans ce domaine inébranlables. Il a donc fallu presque un siècle supplémentaire pour que l’esclavage soit aboli, et encore un siècle pour que les Noirs américains accèdent à un minimum de reconnaissance de quelques droits civiques, sans que pour autant le racisme profond de la culture dominante en ait été ébranlé.

En réalité il n’y a eu dans les Amériques de cette époque qu’une seule révolution sociale, celle conduite par les esclaves de Saint-Domingue conquérant par eux-mêmes leur liberté. Ce qu’est devenue cette révolution par la suite est une autre affaire. Les révolutions de l’Amérique espagnole (rien ou presque ne se passe au Brésil à l’époque) ont été de la même nature que celle de l’Amérique anglaise : les Créoles substituant leur pouvoir à ceux de la monarchie castillane pour continuer la même chose.

***

Marx et Engels considéraient que le fait que la société américaine se soit développée librement, sans souffrir des entraves héritées des antécédents féodaux, constituait un avantage comparatif. J’aurais tendance aujourd’hui à remettre en question ce jugement trop unilatéral, me semble-t-il, en ce qui concerne les vertus du capitalisme. Ce système a été et est simultanément constructeur – à l’origine du plus prodigieux et du plus rapide développement des forces productives qu’on ait connu dans l’histoire – et destructeur de l’être humain par l’aliénation marchande. Au fur et à mesure de son développement, la dimension destructrice de l’accumulation se renforce, au point d’être devenue aujourd’hui une menace réelle à la civilisation. Cette aliénation fondamentale, qui ne définit pas seulement le contenu de l’idéologie des classes dominantes, mais celui de l’idéologie dominante dans la société, est à l’origine du consensus fondateur de la « démocratie de basse intensité ».

L’aliénation marchande conduit à privilégier la liberté parmi les valeurs humaines. Celle de l’individu en général certes, mais en particulier celle de l’entrepreneur capitaliste dont elle libère l’énergie et démultiplie le pouvoir économique. Mais il existe d’autres valeurs humaines, celle d’égalité entre autres. Celle-ci ne procède pas directement des exigences du capitalisme, sauf dans sa dimension la plus immédiate, celle de l’égalité (partielle) des droits permettant d’une part l’épanouissement de la liberté d’entreprise et condamnant d’autre part le travailleur libéré à se soumettre au statut de salarié – vendeur de force de travail, elle-même marchandise. À un niveau plus élevé, la valeur « égalité » entre en conflit avec celle de « liberté ». Or dans l’histoire d’une partie de l’Europe, dans celle de la France en particulier, les deux valeurs sont proclamées sur un pied d’égalité, comme dans la devise de la République. L’origine de cette dualité conflictuelle est à son tour complexe. Il y a sans doute (dans le cas de la Révolution française, c’est visible, je crois) l’acuité des luttes des classes populaires, cherchant à s’autonomiser par rapport aux ambitions de la bourgeoisie. Cette contradiction est exprimée clairement et ouvertement par ceux des Montagnards qui estiment (à juste titre) que le « libéralisme économique » (la liberté au sens américain et plein du terme) est l’ennemi de la démocratie (si celle-ci doit signifier quelque chose pour les classes populaires).

J’explique, à partir de cette observation, la différence qui paraissait visible jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale entre la société et la culture américaines d’une part, celles de l’Europe d’autre part. Le fonctionnement et les intérêts du capital dominant aux États-Unis et en Europe ne sont probablement pas aussi différents qu’on le suggère parfois (comme par l’opposition bien connue du « capitalisme anglo-saxon » et des capitalismes « rhénan » et « français »). La conjonction de leurs intérêts explique aujourd’hui la solidité de la « triade » (États-Unis-Europe-Japon) en dépit des conflits mercantiles – secondaires – qui peuvent les opposer les uns aux autres ici ou là. Mais les jugements de la société, les projets sociétaires qui hantaient les esprits, même d’une manière implicite, ont été longtemps passablement différents. Aux États-Unis, la valeur liberté occupe seule tout le terrain sans que cela fasse problème. En Europe, celle-ci était sans arrêt contrebalancée par un attachement à la valeur égalité avec laquelle elle devait composer.

La société américaine méprise l’égalité. L’inégalité extrême n’est pas seulement tolérée, elle est prisée comme symbole de la « réussite » que la liberté promeut. Or liberté sans égalité égale sauvagerie. La violence sous toutes ses formes que cette idéologie unilatérale produit n’est pas le fruit du hasard et n’est en aucune manière un motif de radicalisation, bien au contraire. La culture dominante dans les sociétés européennes avait longtemps combiné avec moins de déséquilibre les valeurs de liberté et d’égalité ; cette combinaison constituait d’ailleurs le fondement du compromis historique de la social-démocratie.

Il reste que, malheureusement, l’évolution de l’Europe contemporaine tend à rapprocher la société et la culture de ce continent de celles des États-Unis, érigées en modèles et objets d’une admiration peu critique envahissante.

***

Les vagues successives d’immigration ont joué leur rôle dans le renforcement de l’idéologie de la liberté au détriment de la valeur égalité. Les immigrants ne sont certainement pas responsables de la misère et de l’oppression qui sont à l’origine de leur départ. Ils en sont au contraire les victimes. Mais les circonstances – c’est-à-dire leur émigration – les conduisent à renoncer à la lutte collective pour changer les conditions communes à leurs classes ou groupes dans leur propre pays, au profit d’une adhésion à l’idéologie de la réussite individuelle dans le pays d’accueil. Cette adhésion est encouragée par le système américain, dont elle fait l’affaire à la perfection. Elle retarde la prise de conscience de classe qui, à peine a-t-elle commencé à mûrir, doit faire face à une nouvelle vague d’immigrants qui en fait avorter la cristallisation politique. Mais simultanément la migration encourage la « communautarisation » de la société américaine. Car le « succès individuel » n’exclut pas l’insertion forte dans une communauté d’origine (les Irlandais, les Italiens, etc.), sans laquelle l’isolement individuel risquerait d’être insupportable. Or ici encore le renforcement de cette dimension de l’identité – que le système américain récupère et flatte – se fait au détriment de la conscience de classe.

Les vagues successives d’immigration ont joué leur rôle dans le renforcement de l’idéologie de la liberté au détriment de la valeur égalité. Les immigrants ne sont certainement pas responsables de la misère et de l’oppression qui sont à l’origine de leur départ. Ils en sont au contraire les victimes. Mais les circonstances – c’est-à-dire leur émigration – les conduisent à renoncer à la lutte collective pour changer les conditions communes à leurs classes ou groupes dans leur propre pays, au profit d’une adhésion à l’idéologie de la réussite individuelle dans le pays d’accueil. Cette adhésion est encouragée par le système américain, dont elle fait l’affaire à la perfection. Elle retarde la prise de conscience de classe qui, à peine a-t-elle commencé à mûrir, doit faire face à une nouvelle vague d’immigrants qui en fait avorter la cristallisation politique. Mais simultanément la migration encourage la « communautarisation » de la société américaine. Car le « succès individuel » n’exclut pas l’insertion forte dans une communauté d’origine (les Irlandais, les Italiens, etc.), sans laquelle l’isolement individuel risquerait d’être insupportable. Or ici encore le renforcement de cette dimension de l’identité – que le système américain récupère et flatte – se fait au détriment de la conscience de classe.

Les questions relatives à l’institutionnalisation de la démocratie en Amérique ne peuvent pas être discutées abstraction faite de ce substrat historique. Néanmoins les formes de cette institutionnalisation sont également loin d’avoir été aussi positives que Marx et Engels l’imaginaient en leur temps. Elles ont au contraire, à mon avis, été parfaitement fonctionnelles pour servir le projet du capital dominant.

***

Les États-Unis ont inventé le système présidentiel. Il est possible qu’à l’époque une telle idée soit « allée de soi », l’idée d’un monarque (fût-il élu) paraissant indispensable. Encore que la Révolution française saura s’en passer sans problème de 1793 à 1798. Toujours est-il que le système présidentiel s’est avéré une catastrophe pour la radicalisation de la démocratie et cela s’avère avec encore plus de force aujourd’hui qu’hier. Le système présidentiel contribue à déplacer le débat politique, à l’affaiblir en substituant au choix d’idées – de programmes – celui d’individus, fussent-ils censés « incarner » ces idées-programmes. De surcroît la polarisation du choix sur deux individus, presque fatale, accentue encore la recherche par chacun d’eux du consensus le plus large (la bataille pour gagner le centre des indécis, des moins politisés) au détriment de la radicalisation. C’est donner une prime au conservatisme. Ce système présidentiel – conservateur par nature – a été exporté par les États-Unis à toute l’Amérique latine sans difficulté, pour la raison invoquée plus haut, à savoir qu’il s’agissait de révolutions politiques limitées de même nature, pour lesquelles le système convenait parfaitement. Il a conquis par la suite l’Afrique et une bonne partie de l’Asie pour des raisons analogues tenant au caractère limité des libérations nationales des temps modernes. Mais il est en passe de conquérir l’Europe, où pourtant il n’avait laissé qu’un souvenir détestable chez les démocrates, ayant ici été associé au populisme démagogique bonapartiste. La France a hélas lancé le mouvement, avec la création de la République gaullienne, qui n’a pas représenté un pas en avant dans le progrès de la démocratie, mais un recul dans lequel la société française semble bien s’être installée, les arguments invoqués concernant « l’instabilité des gouvernements » dans les régimes parlementaires n’étant que de pure opportunité. Le système présidentiel favorise également la cristallisation de coalitions d’intérêts divers – idéalement au nombre de deux s’alignant derrière les concurrents « présidentiables » – au détriment de la formation d’authentiques partis politiques (dont les partis socialistes) porteurs potentiels de projets sociétaires véritablement alternatifs. Ici encore le cas des États-Unis est éloquent. Il n’y a pas deux partis – démocratique et républicain. Julius Nyerere disait non sans humour qu’il s’agissait de « deux partis uniques ». Belle définition de la démocratie de basse intensité. Au demeurant comprise comme telle par les classes populaires aux États-Unis qui, comme on le sait, ne votent pas parce qu’elles savent – et ont raison – que cela ne sert à rien.

***

Loin d’être un instrument de radicalisation sociale éventuelle, les formes de la démocratie américaine ont été et sont, contrairement à ce que Marx et Engels attendaient d’elles, des formes parfaites confortant le conservatisme. Dans ces conditions les autres dimensions de la démocratie américaine, jugées positives par Marx et Engels, se transforment en leur contraire.

La « décentralisation » par exemple, associée à la multiplication des instances confiées à des pouvoirs locaux élus, donne une prime au renforcement des pouvoirs de notabilités locales et à celui de l’esprit « communautariste ».

L’absence de bureaucraties américaines permanentes, que Marx et Engels pensaient être un avantage face à la solide implantation des héritages bureaucratiques de l’Europe, devient le moyen par lequel le pouvoir politique conservateur confie la mise en œuvre de ses programmes à des clientèles passagères irresponsables, recrutées largement directement dans les milieux d’affaires (et donc à la fois juges et parties). Est-ce véritablement un avantage ? Et quoi qu’on dise par exemple de « l’énarchie » en France – dont une bonne partie des critiques est certainement recevable – l’idée d’une bureaucratie recrutée d’une manière authentiquement démocratique n’est-elle pas meilleure (ou moins mauvaise) en attendant qu’on soit parvenu (peut-être) à l’idéal lointain d’une société qui peut se passer de bureaucraties ?

La critique irréfléchie de la « bureaucratie », qui fait partie de l’air du temps, inspire directement les campagnes systématiques menées contre l’idée même de service public, auquel on veut substituer le service privé marchand. Un regard objectif sur le monde réel démontre que le service public (prétendu « bureaucratisé ») n’est pas aussi inefficace qu’on le prétend, comme l’illustre à la perfection la comparaison États-Unis/Europe en matière de santé. Aux États-Unis la santé (largement privatisée) coûte à la nation 14 pour cent de son PIB, contre 7 pour cent d’un PIB comparable en Europe (dont la santé est largement assurée par des services publics). En termes de résultats (qualité de la santé), la comparaison est en faveur de l’Europe. Mais évidemment les profits des oligopoles de l’industrie pharmaceutique et des assurances sont en Amérique largement supérieurs à ce qu’ils sont en Europe. De surcroît, dans une démocratie, le service public est au moins potentiellement susceptible de transparence. Le service marchand, protégé par le « secret des affaires privées » est par définition opaque. Substituer au service public (c’est-à-dire à la socialisation par la démocratie) le service privé (c’est-à-dire la socialisation par le marché) consolide le préjugé par lequel politique et économique sont acceptés comme constituant deux domaines rigoureusement séparés l’un de l’autre. Or le consensus sur ce point est précisément destructeur de tout le potentiel de radicalisation de la démocratie.

La justice « indépendante » et le principe des juges élus, que Marx et Engels également appréciaient, ont démontré comment ils pouvaient à leur tour conforter l’enracinement des préjugés, toujours conservateurs, voire réactionnaires, et non pas favoriser la radicalisation, mais au contraire y faire obstacle. Le modèle est néanmoins en voie d’être imité ailleurs avec des résultats immédiats que je m’abstiendrai de commenter.

***

À toutes ces raisons qui me paraissent aujourd’hui évidentes même si elles ne l’étaient pas à l’époque de Marx et d’Engels s’ajoute une raison majeure qui a annihilé le potentiel de radicalisation que la démocratie porte en elle, je veux dire l’impérialisme. Sur ce point Marx et Engels avaient eu une intuition parfaitement confirmée par l’histoire : qu’un peuple qui en exploite un autre ne peut être un peuple libre. Cecil Rhodes l’avait également parfaitement compris pour la Grande-Bretagne de la fin du XIXe siècle, en déclarant que l’expansion impérialiste était le meilleur moyen de sauver le pays de la menace socialiste. Aujourd’hui, l’hégémonisme des États-Unis, comme hier celui des impérialismes britannique, français et autres, constitue à son tour une entrave majeure à la radicalisation de la démocratie. Cette réalité est vraie pour l’ensemble des centres du capitalisme contemporain, c’est-à-dire pour la triade États-Unis-Europe-Japon.

Je ne reprocherai pas à Marx et Engels de n’avoir pas vu en leur temps ce qui paraît évident aujourd’hui. La pénétration de l’idéologie impérialiste elle-même dans les milieux populaires n’était guère visible avant la fin du siècle. Mais il nous faut dire que les espoirs que Marx et Engels avaient placés dans la démocratie anglo-américaine paraissent aujourd’hui bien naïfs.

Les réflexions proposées dans cette contribution ne concernent – comme le livre de Ndongo S. Sylla – qu’un des volets de la vaste question de la démocratie : le rappel de l’émergence récente de l’idée de la politique démocratique aux temps modernes en conjonction avec celle du capitalisme, et des limites étroites imposées par la domination du capital à leur déploiement en Europe et aux États-Unis, de leur sérieuse régression contemporaine.

La discussion d’autres volets de la question s’impose certainement : celle de la tragédie de l’impossible démocratisation dans les périphéries du système capitaliste du XIXe siècle à nos jours, celle des avancées et reculs des projets de démocratie authentiquement populaire dans les expériences de la première vague des révolutions socialistes du XXe siècle, celle de l’amorce de nouvelles avancées possibles, comme en Amérique latine. Chacun de ces volets exigeait un traitement spécifique, dans la perspective de leur intégration dans une analyse globale imposée par le caractère mondialisé du capitalisme. Je ne pourrai ici que mentionner quelques-unes des propositions que j’ai avancées sur ces sujets.

Toujours est-il que le déficit de démocratie des expériences socialistes du XXe siècle, de la Chine postmaoïste comme de celui qui caractérise les expériences de la libération nationale dans le tiers-monde, est invoqué par le clergé médiatique contemporain pour donner l’apparence de vérité au déluge de ses discours faisant l’éloge de l’exclusivité de la « démocratie occidentale ». Le « déficit de démocratie » en question est indiscutablement réel. Mais celui-ci ne trouve pas sa raison majeure ultime dans les parcours historiques spécifiques propres aux peuples concernés. C’est le caractère polarisant – impérialiste – du déploiement mondialisé du capitalisme qui est à l’origine des tragédies en question. Si la domination du capital mondialisé a enfermé dans des limites étroites les avancées démocratiques dans les centres du système (en Europe et aux États-Unis), elle a simultanément rendu pratiquement impossible leur progrès dans les périphéries. Elle a également constitué un obstacle actif majeur qui a entravé les tentatives d’aller au-delà à partir des luttes radicales victorieuses en Union soviétique, en Chine, au Vietnam et à Cuba.

Notes
1. Canfora, Luciano (2006) La démocratie. Histoire d’une idéologie, traduit de l’italien, Paris, Le Seuil ; Losurdo, Domenico (2014) Contre-histoire du libéralisme, traduit de l’italien, Paris, La Découverte.
2. Fukuyama, Francis (1992) La fin de l’histoire et le dernier homme, traduit de l’anglais, Paris, Flammarion.

Références
Les réflexions proposées ici trouvent leurs fondements dans les thèses majeures de l’auteur concernant :
1) la loi de la valeur, fondement spécifique du capitalisme, l’aliénation marchande propre à ce système, la sous-détermination des instances, la famille des formations tributaries ;
2) l’eurocentrisme et la fabrication de l’ancêtre mythique grec ;
3) la singularité de la Révolution française ;
4) le stade contemporain des monopoles généralisés, le statut du clergé médiatique, le déclin de la démocratie et le retour du fascisme ;
5) les limites des expériences du socialisme et de la libération nationale au XXe siècle.
NB : La référence à la religion dans ce texte ne concerne que les « religions établies », associées à l’exercice du pouvoir social. Elle ne concerne pas les expressions diverses du « besoin de religion » (« l’homme animal métaphysique », ai-je écrit à ce propos) et donc les interprétations associées aux luttes émancipatoires (comme la théologie de la libération).

Ouvrages et articles majeurs concernés par le texte
Classe et Nation dans l’histoire et la crise contemporaine, Minuit, 1979.
L’Eurocentrisme, critique d’une idéologie, Economica, 1988 ; nouvelle édition, Modernité, religions, démocratie, critique de l’eurocentrisme, Parangon, 2008.
Critique de l’air du temps, chap. III, « Surdétermination ou sous-détermination dans l’histoire des sociétés », Harmattan, 1997.
L’Implosion du capitalisme contemporain, Delga, 2012.
La Loi de la valeur mondialisée, éd. augmentée, Delga, 2013.
L’Histoire globale, une perspective afro-asiatique, Les Indes savantes, 2013.
“Popular movements toward socialism,” Monthly Review, no 2, 2014.
“Fascism returns to contemporary capitalism,” Monthly Review, n° 3, 2014.
“Latin America confronts globalization,” Monthly Review, no 7, 2014.
“From Bandung (1955) to 2015, Old and New Challenges,” International Critical Thought, no 4, 2105.
“Contemporary Imperialism,” Monthly Review, July-Aug. 2015.
« L’impérialisme aujourd’hui », Nord-Sud XXI, no 1, 2015.
« Lire Le Capital, lire les capitalismes », key note proposée au Congrès mondial du marxisme, Beijing 2015, publiée dans Dembélé, D. M., Sylla, N.S. et Faye, H. (2021) Déconstruire le Discours Néolibéral. Volumes V et VI des samedis de l’économie, Dakar, ARCADE, pp. 31-59.