CODESRIA Bulletin Online, No. 7, July 2024 - Une bibliothèque s’en est allée
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Abstract
Le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA) a appris avec regret le décès du Professeur Momar Coumba Diop, à l’âge de 73 ans, survenu à Paris le 09 Juillet 2024, des suites d’une longue maladie..
Il n’y a pas un meilleur résumé de la vie et de l’impact du Professeur Diop que celui du journaliste de Le Soleil, Seydou Ka, qui conclut que « Si l’homme n’était pas prophète dans son propre pays, car il n’a pas été reconnu comme il le méritait de son vivant, il jouissait d’un immense respect au sein de la communauté des chercheurs ». Ce sentiment traduit ce que le Professeur Diop représentait pour ses amis, ses étudiants, les journalistes, et ses collègues au Sénégal et à l’étranger. Et nombreux parmi eux lui ont rendu des hommages élogieux sur l’impact qu’il a eu sur eux personnellement, et la perte que son décès représente, non seulement pour eux mais aussi pour le monde universitaire qu’il a honoré, animé et enrichi.
Sociologue de formation, les contributions intellectuelles du Professeur MC Diop donnent du sens à une recherche à la fois interdisciplinaire et transdisciplinaire. Il a enseigné la sociologie à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH) de l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD) à Dakar de 1981 à 1987. Par la suite, il a rejoint l'Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN). C’est au cours de ces années qu'il s’est engagé avec le CODESRIA, travaillant avec le réseau des chercheurs, qui a donné du poids à la portée panafricaine de sa recherche.
Ses contributions à la connaissance vont des études sur les migrations, au processus de formation et de construction des Ea tats, en passant par la religion et l’identité, les programmes d’ajustement structurel et le développement durable.
En collaboration avec plusieurs chercheurs sénégalais, dont Ibrahima Thioub et Mamadou Diouf, Le Professeur Diop a approfondi notre compréhension sur la formation du Sénégal, l’étude sur l’art de gouverner constitue un bon exemple. Il a ancré son travail autour des questions liées à la migration, d’identité, et de changement social et, problématisé la notion de légitimité au moment où le Sénégal passait du socialisme au « libéralisme ». Ses idées, contenues dans l’étude publiée à l’origine en français sous le titre Sénégal : Trajectoires d’un Etat (1960-1990) et traduite en anglais en 1994 sous le titre Senegal : Essays in Statecraft, ont mobilisé certains des débats clés au Sénégal pour donner une bonne compréhension de la façon dont les principaux intellectuels sénégalais comprenaient et répondaient aux dédis auxquels le pays était confronté à cette époque.
On ne peut pas comprendre les écrits du Professeur Diop par une lecture isolée d’une de ses œuvres. Il a toujours construit une intervention sur une autre, et les archives de son travail révèlent une expansion horizontale de ses idées à mesure qu’il couvrait des questions thématiques clés interconnectées et une expansion verticale au fur et à mesure qu’il approfondissait son analyse de chacun de ces thèmes. En 1990, par exemple, le CODESRIA a publié son document de travail n° 1, rédigé conjointement, sur les successions politiques statutaires : les mécanismes de transfert de pouvoir en Afrique. Plus tard, il a développé ses analyses dans une série d’études sur le Sénégal qui lui ont valu une large reconnaissance et ont cimenté sa place dans la communauté des chercheurs en sciences sociales.
On se rappellera le Professeur Diop, pour ses contributions dans Le Sénégal sous Abdoulaye Wade : le Sopi à l’épreuve du pouvoir ; le Sénégal contemporain ; le Sénégal sous Abdou Diouf : l’État et Société ; La société sénégalaise entre le local et le global ; le Sénégal : trajectoires d’un Etat (1960-1990) ; et la construction de l’Etat au Sénégal, une étude co- rédigée avec Donal Cruise, O’Brien et Mamadou Diouf.
Nombreux sont ceux qui ont fait des commentaires sur ses travaux académiques, mais beaucoup plus ont noté son humilité, sa curiosité, sa discipline, sa loyauté et son rôle de mentor auprès de différentes générations de collègues sénégalais. Penda Mbow nous rappelle que c’est Momar Coumba Diop qui la introduite ainsi que d’autres au CODESRIA, les encourageant à prendre part à l'Institut sur le Genre et leur faisant connaitre les œuvres d'auteurs d'Afrique de l'Est et d’Afrique Australe, notamment Archie Mafeje, Mahmood Mamdani et Sam Moyo. Mamadou Diouf a déclaré que les legs de Momar Coumba Diop sont ancrés dans les traditions familiales du Jolof, les confréries islamiques et les engagements politiques, ainsi que les turpitudes du quartier des HLM et du lycée Blaise Diagne où il a étudié. En lui, nous avions un bibliothécaire, un éditeur, un chercheur accompli avec une approche méthodique de son métier, en effet, la parfaite incarnation de « l’aristocrate du savoir », pour emprunter les mots de Penda Mbow. Même dans sa maladie, nous rappelle Mamadou Diouf, il était stoïque, semblant à un moment donné avoir vaincu la maladie.
Nous ne venons pas de le célébrer. En 2023, ses pairs, dont Ibou Diallo, Ibrahima Thioub, Alfred Inis Ndiaye et Ndiouga Benga, lui ont présenté un livre de 720 pages intitulé Comprendre le Sénégal et l'Afrique d'aujourd'hui : Mélanges offerts à Momar Coumba Diop. Alors que Momar Coumba Diop sera inhumé ce 13 juillet 2024 à Yoff, il ne fait aucun doute que nous avons perdu la boussole des sciences humaines et sociales sénégalaises. Nous, au CODESRIA, présentons nos condoléances à sa famille et à ses amis et prions qu’ils aient la grâce de se souvenir de lui tout en acceptant son départ. Nous savons que c’est une prière difficile puisque, comme le souligne Mamadou Diouf, il est difficile de penser à Momar Coumba Diop au passé.
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