0 - Éditorial
Corresponding Author(s) : Divine Fuh
CODESRIA Bulletin,
No 02 (2018): Bulletin du CODESRIA, n° 2, 2018
Résumé
Au début de cette année, l’Afrique a été mêlée à un débat sur la description du continent comme « trou de merde ». Vers la même période, des milliers de « rêveurs » africains ont été expulsés et criminalisés en Israël, la suite à la décision du gouvernement de leur proposer d’accepter 3500 USD et de déménager dans un pays tiers, retourner dans leur pays d’origine ou être incarcérés. Cette mesure a ensuite été suspendue en avril à la suite de manifestations, d’un tollé international et de recours légaux en Israël. En avril, au Royaume-Uni, un scandale sur le statut de citoyen de Caribéens principalement imite des développements similaires aux États-Unis et en Israël. Cette évolution fait suite à une modification de la loi sur l’immigration, en 2012, qui déclarait illégale la présence de la « génération Windrush », l’obligeant à régulariser son séjour, ou être expulsée.
Quelques mois après, en mai 2018, Mamoudou Gassama, un immigrant « illégal » malien de 22 ans du Mali, a gagné les cœurs du monde entier lorsqu’une vidéo amateur le montrant gravissant la façade d’un immeuble parisien de quatre étages pour sauver un enfant suspendu au balcon est devenu viral. Cette action courageuse lui a valu le surnom de « Spiderman » ainsi que la citoyenneté honoraire, un certificat, une médaille de bravoure et la promesse d’un travail du président français. En conférant cet honneur, le président Emmanuel Macron a affirmé que Gassama avait fait un acte exceptionnel et démontré un héroïsme et une volonté caractéristiques des Français, et méritait donc de toute urgence d’être français. Pourtant, en 2014, les tentatives précédentes de Gassama d’atteindre l’Europe en traversant la Méditerranée ont échoué en Italie suite à son expulsion. Ironiquement, alors que « l’extraordinaire récit » de Gassama sur la reconversion d’immigré « illégal » en citoyen faisait les gros titres, les problèmes d’africains transcontinentaux faisaient la une, car l’Aquarius, un navire transportant 629 migrants africains sauvés en Méditerranée restait bloqué en mer, s’étant vu refuser l’accostage par le gouvernement italien nouvellement élu.
En fin de compte, il existe des parallèles entre ces histoires d’immigration et les politiques de représentation qui sont au cœur du mandat du CODESRIA. La question de la représentation de l’Afrique et des Africains est plus préoccupante compte tenu de la nature historique du débat, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique, sur l’image de l’Afrique. Nous nous sentons donc obligés, au nom de la diversité des chercheurs africains en sciences sociales et en sciences humaines, et même de tous les Africains socialement conscients, de situer le présent numéro du Bulletin du CODESRIA dans le contexte des débats en cours sur l’immigration, la mobilité et les questions de représentation, de connaissance et d’esprit d’entreprise qui émergent de ces débats. Il est devenu évident que les questions examinées, au niveau international, de la position des Africains dans l’ordre mondial et leur image à travers le monde ont moins à voir avec les Africains et davantage avec l’évolution des politiques des pays où existe cet étiquetage négatif. Ce sont ces connaissances et ces identités qu’abordent les articles de ce numéro du Bulletin du CODESRIA.
Le premier article par Mamdani fait appel à l’étude de Michael Neocosmos intitulée Thinking Freedom in Africa: Towards a Theory of Emancipatory Politics. Pour Mamdani, l’étude de Neocosmos est entachée d’un double « vide théorique » : une « restriction de la subjectivité populaire à l’interpellation d’État » et une « fausse réduction de la tradition à l’État et au pouvoir ». Yusuf Bangura poursuit par une réflexion sur le deuxième tour serré de l’élection présidentielle en Sierra Leone en 2018; dans laquelle il examine les clivages ethno-régionaux bipolaires dans les processus électoraux de la Sierra Leone et, partant, les (dé)mérites d’un esprit de clocher en politique. Dennis Maseka examine les conséquences de la dépendance excessive des établissements d’enseignement supérieur africains aux paradigmes épistémologiques et programmes d’enseignement euro-centriques qui ne sont pas fondés sur les circonstances, défis et aspirations du continent.
Dans leur article, Mlamuli N. Hlatshwayo et Kehdinga George Fomunyam examinent la transmission de la citoyenneté responsable et de la gouvernance stratégique en Afrique à travers ce qu’ils qualifient de « déstructuration » du secteur de l’enseignement supérieur. Felix Kwabena Donkor, Tantoh Bikwibili Henry, Eromose Ebhuoma et Sylvi Fullard traitent du « trilemme » des compromis en matière d’éducation entre les différentes initiatives de développement durable de l’Afrique. Paola Vargas Arana discute de l’importance pour l’Afrique de s’attaquer à ses conflits sociaux en retrouvant son passé traumatique et en introduisant des sujets sur l’histoire de l’esclavage et la traite des esclaves dans les programmes d’enseignement supérieur en Afrique. Muhammed Bolaji s’intéresse à l’explosion actuelle d’information et à l’érosion progressive de l’originalité et des compétences rédactionnelles dans les établissements d’enseignement supérieur en Afrique. L’article d’André Goodrich sur la décolonisation des programmes d’études explique comment les programmes produisent des dépotoirs et des zones d’exclusion pour diverses disciplines. Le Bulletin se termine par deux articles sur le cinéma africain par Africanus Aveh qui aborde l’émergence de la production de films en langues locales, pendant qu’Okello Oculi débat du traitement par Ousmane Sembène du genre et des femmes au cinéma.
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