2 - Les economies africaines doivent-elles avoir peur de la Chine ?
Corresponding Author(s) : Herman Touo
Identité, culture et politique,
Vol. 12 No 2 (2011): Identité, culture et politique: Un dialogue afro-asiatique
Résumé
La peur constitue depuis quelques années le paradigme dominant à travers lequel la montée en puissance de la Chine dans le monde est analysée dans divers domaines. Cette notion de peur apparaît comme une catégorie dotée d’une capacité d’ubiquité explicative. Elle postule une sorte de méfiance universelle à l’égard de la Chine. De cet impérialisme cognitif universalisant naît un doute méthodique sur l’usage de ce concept dont le contenu semble relatif. L’Afrique qui devait s’organiser pour s’arrimer à la locomotive chinoise au gré de ses intérêts, se laisse parfois communiquer des peurs qui ne sont pas absolument les siennes. Portés par ceux qui depuis plus d’un siècle n’auraient pas pu offrir à l’Afrique les moyens de son décollage économique, certains clichés tendant à présenter la Chine comme «le grand Satan dragon» venu juste ponctionner le pétrole africain et piller les autres matières premières sont distillés à travers les grands médias et certaines publications. La question que l’on est en droit de se demander est de savoir si les économies africaines et ceux ou celles qui les pilotent doivent nécessairement avoir peur de la forte croissance chinoise et de la place qu’occupe ce pays dans la recomposition géopolitique du continent. Autrement dit, la Chine est-elle une menace ou une chance pour les économies africaines ? Pour apporter des éléments de réponse à ce questionnement, deux hypothèses méritent d’être formulées :
1. La Chine constitue certes une menace en raison de son statut de puissance émergente, dont l’économie conquérante véhicule l’image d’un nouveau « grand » autoritaire doublé d’un appétit de prédateur.
2. Il ne faut cependant pas avoir absolument peur de la Chine car celle-ci est un géant dont le modèle de développement peut être une source d’inspiration pour les économies africaines dans le cadre d’une relation de partenariat gagnant-gagnant. L’enjeu pour l’Afrique, c’est d’avoir la maîtrise de sa relation avec la Chine qui peut être une chance pour ce continent.
Notre thèse est que la place qu’occupe la Chine dans la recomposition géopolitique de l’Afrique, qui engendre, dans une large mesure, un conflit d’intérêts avec les anciennes puissances occidentales, est une chance pour les économies africaines, notamment si les gouvernements assument leurs propres responsabilités financières en améliorant la façon de percevoir les impôts, l’environnement des affaires, la qualité de la dépense publique et en mettant un terme à la fuite illégale des fonds vers l’étranger, ou encore en exigeant le transfert de technologie de la part des partenaires chinois. Cela se comprend, étant donné que toutes les faiblesses de l’Afrique peuvent être corrigées par les atouts de l’Afrique qui a retrouvé son statut d’enjeu/objet stratégique dans le nouvel ordre politico-économique global.
Mots-clés
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- Capacité de se trouver au même moment en plusieurs lieux, l’aptitude à être partout à la fois, don d’ubiquité.
- DURKHEIM, Emile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 2007.
- Selon Dani W. NABUDERE, la leçon méthodologique que l’on peut tirer de l’apport d’Archie Mafeje aux Sciences sociales en Afrique, c’est que les connaissances ethnographiques détaillées nous aident à éviter les interprétations mécanistes. Loin d’ouvrir la voie au relativisme ou au particularisme, elles nous permettent de décoder ce qui pourrait nous frapper à première vue comme étant des choses si différentes et nous mettent ainsi dans une position où nous pouvons découvrir les unions cachées (NABUDERE, Dani W., « Archie Mafeje et les Sciences sociales en Afrique », Bulletin du CODESRIA, N° 3 & 4, 2008, p. 8). Il peut arriver que l’Afrique ait beaucoup plus peur de l’Occident que de la Chine, ou que la « haine de l’Occident » soit transformée subtilement en peur de la Chine.
- MORGENTHAU, Hans J. (revised by Kenneth THOMPSON), Politics Among Nations: The Struggle for Power and Peace, Sixth Edition, New York, Alfred A. Knopf, 1985.
- Qui a rapport à l’eschatologie, c’est-à-dire l’ensemble des doctrines relatives aux fins dernières de l’Homme et de l’Univers.
- BADIE, Bertrand, La fin des territoires : essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard, 1995.
- SINDJOUN, Luc, Sociologie des relations internationales africaines, Paris, KARTHALA, 2002, p.143.
- Les Etats Unis avaient 14 294 milliards de dollar de dette publique au mois de juillet 2011 causée principalement par les cadeaux fiscaux accordés aux plus riches, tandis que la Chine présentait un excédent commercial de 11.7 milliards de dollar pour la même période.
- Les réserves financières de la Chine dépasseraient 1 500 milliards de dollars, et Pékin joue de cette puissance financière pour séduire, contrôler.
- L’Afrique doit s’organiser pour s’imposer comme un véritable acteur du jeu international et non comme un champ de confrontation des intérêts des grandes puissances, ou le théâtre de la compétition entre l’Asie à travers, principalement, la Chine et l’Occident.
- L’on peut noter, à la suite de Louis MICHEL, alors Commissaire européen au développement et l’aide humanitaire, qu’ « il ne s’agit plus aujourd’hui, de considérer l’Afrique avant tout comme un ‘’bénéficiaire’’ ou ‘’un continent en développement’’ voire ‘’sous-développé’’, mais bien comme un partenaire à part entière, un nouvel acteur du système multipolaire mondial, doté des attributs de la puissance politique, économique et stratégique, et capable de relations normales avec d’autres pôles mondiaux » (Conférence publique sur la stratégie Afrique prononcée à Berlin le 28 novembre 2006).
Les références
Capacité de se trouver au même moment en plusieurs lieux, l’aptitude à être partout à la fois, don d’ubiquité.
DURKHEIM, Emile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 2007.
Selon Dani W. NABUDERE, la leçon méthodologique que l’on peut tirer de l’apport d’Archie Mafeje aux Sciences sociales en Afrique, c’est que les connaissances ethnographiques détaillées nous aident à éviter les interprétations mécanistes. Loin d’ouvrir la voie au relativisme ou au particularisme, elles nous permettent de décoder ce qui pourrait nous frapper à première vue comme étant des choses si différentes et nous mettent ainsi dans une position où nous pouvons découvrir les unions cachées (NABUDERE, Dani W., « Archie Mafeje et les Sciences sociales en Afrique », Bulletin du CODESRIA, N° 3 & 4, 2008, p. 8). Il peut arriver que l’Afrique ait beaucoup plus peur de l’Occident que de la Chine, ou que la « haine de l’Occident » soit transformée subtilement en peur de la Chine.
MORGENTHAU, Hans J. (revised by Kenneth THOMPSON), Politics Among Nations: The Struggle for Power and Peace, Sixth Edition, New York, Alfred A. Knopf, 1985.
Qui a rapport à l’eschatologie, c’est-à-dire l’ensemble des doctrines relatives aux fins dernières de l’Homme et de l’Univers.
BADIE, Bertrand, La fin des territoires : essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard, 1995.
SINDJOUN, Luc, Sociologie des relations internationales africaines, Paris, KARTHALA, 2002, p.143.
Les Etats Unis avaient 14 294 milliards de dollar de dette publique au mois de juillet 2011 causée principalement par les cadeaux fiscaux accordés aux plus riches, tandis que la Chine présentait un excédent commercial de 11.7 milliards de dollar pour la même période.
Les réserves financières de la Chine dépasseraient 1 500 milliards de dollars, et Pékin joue de cette puissance financière pour séduire, contrôler.
L’Afrique doit s’organiser pour s’imposer comme un véritable acteur du jeu international et non comme un champ de confrontation des intérêts des grandes puissances, ou le théâtre de la compétition entre l’Asie à travers, principalement, la Chine et l’Occident.
L’on peut noter, à la suite de Louis MICHEL, alors Commissaire européen au développement et l’aide humanitaire, qu’ « il ne s’agit plus aujourd’hui, de considérer l’Afrique avant tout comme un ‘’bénéficiaire’’ ou ‘’un continent en développement’’ voire ‘’sous-développé’’, mais bien comme un partenaire à part entière, un nouvel acteur du système multipolaire mondial, doté des attributs de la puissance politique, économique et stratégique, et capable de relations normales avec d’autres pôles mondiaux » (Conférence publique sur la stratégie Afrique prononcée à Berlin le 28 novembre 2006).