1 - Public Sphere, Linguistic Sphericules and Discourse Communities in Africa

Résumé

Dans la définition de Habermas de la sphère publique, le discours est considéré comme un aspect essentiel de la participation des citoyens au débat public qui, fondamentalement, est censé se dérouler dans une société linguistiquement homogène. Le but de cet article est d’évaluer la centralité du discours dans la théorie d’Habermas dans un contexte multilingue comme l’Afrique subsaharienne. Nous nous proposons de montrer que les pratiques discursives, et plus généralement la dynamique qui caractérisent le débat public dans ce contexte, sont déterminées par des facteurs sociolinguistiques tels que la « fermeture de l’élite », le répertoire linguistique, ainsi que par l’exclusion sociale (Scotton, 1993). La fermeture de l’élite, considérée comme l’exclusion sociale basée sur la compétence linguistique, a eu pour effet de construire une sphère publique autour d’une version spécifique des langues européennes (officielles), car elle exclut la majorité des citoyens qui utilisent des versions populaires de ces langues. La corrélation entre la visibilité (dans la sphère publique) et le répertoire de registres rend compte de l’uniformité ou de l’homogénéité du registre qui caractérise généralement les débats publics, puisque même les personnes qui utilisent généralement les versions populaires des langues européennes adoptent le registre de l’élite (souvent avec des effets indésirables). La langue divise ainsi la sphère publique en petits groupes selon des critères de compétence relatifs au registre et à la langue qui excluent ceux qui ignorent les langues officielles européennes. L’étude suggère en outre que ces groupes ou sphéricules (Gitlin 1998) constituent des communautés discursives au sens de Watts (1999), c’est-à-dire des ensembles d’individus dont les pratiques discursives révèlent des intérêts, des croyances et des objectifs communs. Enfin, nous soutenons que la visibilité de tous ces groupes exige l’ouverture de la sphère publique à divers discours (Fairclough 1999, 2006), indépendamment de la façon dont ils se matérialisent. Ainsi, la contribution des personnes dont les répertoires linguistiques n’incluent pas les langues européennes ne sera ni nécessairement ni exclusivement rédigée dans des termes linguistiques. Une conséquence est une perte d’hégémonie de la part des langues européennes.